Interview – 1 livre en 5 questions : Bienvenue à Cotton’s Warwick – Michaël Mention

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1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre. 5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger.

Michaël Mention

Titre : Bienvenue à Cotton’s Warwick

Sortie : 07 décembre 2016

Éditeur : Ombres noires

Lien vers ma chronique du roman

Pourquoi l’Australie et pourquoi avoir choisi un trou perdu comme Cotton’s Warwick ?

Et pourquoi pas ? En fait, j’ai eu envie de revenir à un cadre intimiste, loin de la politique et des phénomènes de masse. Grossir le ciel et Plateau de Franck Bouysse m’ont marqué par leur poésie naturaliste, d’autant plus que j’ai toujours vécu en ville. N’ayant pas cette fibre « naturaliste », j’ai opté pour un cadre aussi sec et stérile qu’un bloc de béton.

De l’Australie, je ne connais que le Queensland – assez touristique – et je n’ai pas pu aller dans le Territoire du Nord, alors je me suis documenté et il m’a vite semblé idéal pour situer l’intrigue. Il y a quelque chose de très romanesque dans cette zone… romanesque et fou avec ces variations de température, cette aridité extrême, sa faune atypique et hostile. Quand je vois ça, je pense aux gens qui vivent là-bas et je me demande comment ils font pour résister. Ça m’intrigue, ça me fascine.

J’ai donc inventé un village avec un nom sans le moindre sens, à l’image de son quotidien. « Warwick » vient de Warwick Davis, l’acteur qui a joué Willow. Son prénom m’a toujours amusé. Puis, dans l’intro du roman, la phrase « Ici, il n’y a rien » m’a été inspirée par la chanson Sertao de Lavilliers. Une petite phrase qui plante tout un décor, auquel se sont greffés les thèmes de la solitude, la cause animale, le sexisme, le racisme, la frustration.

Ce récit est très (très) sombre. Une communauté loin du monde ne peut-elle que révéler le pire de ce dont sont capables les hommes ?

Pas forcément, mais bon, l’humanité est depuis toujours vouée au vice. Moi, toi, tout le monde a ses travers, ses petites lâchetés. Et puis, quand t’es passionné d’Histoire, difficile de croire en l’Homme. Mais je ne suis ni misanthrope, ni résigné. Si c’était le cas, je n’aurais pas fait d’enfant, ce qui a d’ailleurs nourri ma rédaction jusqu’à l’avant-dernier paragraphe, où il a fallu filer à la maternité. Ma fille a été sympa, elle m’a laissé écrire jusqu’au bout !

Bref, du début à la fin, Cotton’s Warwick est traversé par la mort, mais aussi la vie. Les notions de féminité, de maternité et de fertilité reviennent d’un chapitre à l’autre, ce qui m’a permis de trouver un rythme spécifique, une sorte de « ping-pong ». Il y avait aussi Quinn et son besoin de pouvoir, les rapports de force entre Tyler et Shaun, l’arrogance de Faïza…

D’ailleurs, au sujet de Faïza, j’avais à cœur d’en faire un personnage intelligent et charismatique, mais un peu méprisant envers ce « village de bouseux », comme ces parisiens qui se moquent des provinciaux et inversement. Le mépris, on voit ça tous les jours, village ou métropole.

Ce récit est d’une violence inouïe ! Comment gère-t-on l’accumulation de violence en termes d’écriture mais également émotionnellement ?

Mon traitement de la violence a toujours été épuré, car je déteste la complaisance. J’en ai lu, des thrillers bidons où le seul enjeu est de savoir quel sera le tueur le plus sadique, le plus dégueulasse. Je trouve ça facile, gratuit.

En ce qui me concerne, la violence n’est pas une fin en soi mais un moyen, une étape qui doit nourrir le récit et les personnages, pour les transcender et les emmener ailleurs. Pour écrire sur la pédophilie, on n’est pas obligé de décrire le calvaire des victimes. Mais si la pudeur est noble, elle est aussi confortable et cette sécurité me dérange, car j’écris avant tout pour me secouer.

Dans Cotton’s, le cadre se prêtait à autant de noirceur : je voulais une histoire sans morale, sans héros, articulée autour du pouvoir et de la survie. Ça impliquait de repousser les limites, d’effriter lentement mes personnages jusqu’au point de non-retour, et pour la première fois, j’ai abordé de front ce qui me répugne. C’était pénible pour moi, mais essentiel pour le roman. Et puis, quand tu vois ce qu’on fait subir aux animaux, ça fait du bien de faire « payer » les bourreaux.

En tant qu’auteurs, on nous questionne souvent sur notre rapport à la violence, mais les lecteurs en ont un, eux aussi : s’ils lisent la 4e et qu’ils achètent Cotton’s Warwick, ils le font en conscience dans l’espoir de satisfaire leurs attentes de « roman malsain et radical ». En gros, ma démarche, c’est  « Tu veux du genre ? OK, tu vas en avoir ». Je voulais voir jusqu’où les gens étaient prêts à me suivre, à me comprendre, dans le récit et le style. L’idée, c’était de les bousculer sans les rebuter, notamment à travers Karen. Je suis très attaché à son personnage, son évolution, sa résilience. Je voulais une figure féministe mais pas au sens où les médias l’entendent, lisse et moralisatrice du genre « Les hommes ceci, les femmes cela ». Je voulais une anti-héroïne punk, une féministe plus proche de Lilith que d’Isabelle Alonso.

Enfin, quand j’ai débuté Cotton’s, je venais de retrouver un job à plein temps. J’écrivais la nuit, je dormais trois heures et j’allais bosser jusqu’au soir avant d’enchaîner… j’ai fait ça pendant huit mois et l’usure, le stress, la connerie de certains clients, tout ça a sans doute nourri la noirceur du récit !

Cette histoire est assez inclassable, mais c’est aussi un hommage aux romans et aux films de genre, non ?

Oui, je voulais rendre hommage à Cul-de-Sac de Kennedy, Cinq matins de trop de Cook, Pottsville, 1280 habitants de Thompson, puis Délivrance, Razorback, Mad Max, Tremors, Massacre à la tronçonneuse… j’ai eu envie de jouer avec les codes de cette culture. Comme tous les auteurs, j’ai des obsessions et celles qui caractérisent le plus mon écriture sont l’identité et l’impact de l’environnement sur l’individu. Cotton’s s’y prêtait parfaitement et j’y ai mélangé chronique, action, humour, onirisme, horreur et culture aborigène.

Il y aussi une forte influence de Cronenberg dans sa première période : la notion de mutation est au cœur du roman, celle du village et de ses habitants. L’Australie que je dépeins est à la fois réaliste et fictive, teintée d’ambiance western.

Bon, je crois que c’est le moment de remercier mon éditrice Caroline Lamoulie – qui dirige Ombres Noires – pour avoir soutenu ce roman « inclassable », comme tu dis.

Encore un livre différent de tes précédents, mais toujours ce soin particulier apporté à l’écriture. Une plume qui t’est vraiment propre. Tu pèses chaque mot et chaque expression de ton texte, encore et encore ?

De plus en plus. À travers Cotton’s, j’ai voulu explorer la chaleur, le froid, le temps, ce qui induisait une approche sensorielle permanente. L’un des passages où j’ai pris le plus de plaisir est celui où je décris de l’intérieur le pourrissement de la viande. Sur le plan littéraire, c’est exaltant. Sur le plan personnel, c’est un challenge et il en faut quand on écrit. Sinon, on s’encroute. Il y a des passages trash, mais quand je repense au roman, ce qui me vient à l’esprit, ce sont les moments de solitude, laborieux, ceux où il ne se passe rien. J’aime écrire sur le vide, l’inertie, le silence, c’est bien plus exigeant qu’une scène de torture.

En général, je me lance dans la rédaction quand j’ai un plan à 90% (ce qui m’a toujours rassuré) mais cette fois, j’ai ressenti le besoin de me mettre plus « en danger ». Beaucoup de passages, notamment dans la seconde partie, me sont venus en cours d’écriture. J’ai testé des situations, des effets, dont certains ont trouvé leur place et m’en ont inspiré d’autres. C’était risqué, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à me laisser aller. Je voulais explorer la démence et le bizarre jusqu’à déconstruire/réinventer mon propre récit, tout en sachant que je pouvais perdre des lecteurs en cours de route.

Avec Caroline, nous avons longuement débattu du texte afin qu’aucun élément ne soit gratuit et que le détail le plus sordide ait son importance, textuelle ou symbolique. C’est ce qui me permet aujourd’hui d’assumer pleinement le roman. Alors, oui, Bienvenue à Cotton’s Warwick !

Photo : Pauline Drey



Catégories :Interviews littéraires

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3 réponses

  1. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    Lui, je ne vais pas le louper ! Les romans de Michaël m’ont toujours botté le cul et si celui-là est aussi terrible que « Cul-de-sac », alors je vais prendre mon pied littéraire !! 😀

    Merci à lui de se crever la nuit pour nous donner du plaisir. Écrivain, c’est un vrai sacerdoce, je trouve.

  2. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Je l’attends, Michaël a dit qu’il me l’envoyer mais…. je suis maudite avec les livres de Michaël. A chaque fois, je me les fait voler. Remarque si ça peut faire connaître notre jeune auteur, alors je n’en vaux pas au(x) voleur(s).
    Mais j’ai une furieuse envie de la lire celui-là !

Rétroliens

  1. Bienvenue à Cotton’s Warwick – Michaël Mention | EmOtionS – Blog littéraire et musical – Chroniques, avis, comptes-rendus

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