Interview – 1 livre en 5 questions : Le baptême des ténèbres de Ghislain Gilberti

1 livre en 5 questions

1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre. 5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger.

Le baptême des ténèbres

Éditeur : Anne Carrière

Sortie : 02 octobre 2014

Ma chronique du roman

Dans ton premier thriller, « Le Festin du Serpent », on partait à la rencontre de tes deux personnages de flics, Cécile Sanchez et Ange-Marie Barthélemy. Pour ce nouveau roman, tu as décidé de mettre essentiellement l’accent sur la commissaire Sanchez. Pourquoi ce choix ?

Déjà, Cécile Sanchez est le personnage principal du Festin. Ange-Marie est presque son égal mais Cécile Sanchez, cette commissaire aux dons multiples et à la fragilité cachée, est plus profonde. Barthélemy, très charismatique lui-aussi, est surtout là en chef d’un groupe de policiers uni et près à tout ; avec Sébastien Mougin, Laura Kieffer et Abdelatif Hamal, c’est toute l’équipe qui devient le protagoniste. Après le Festin, je souhaitais que les deux personnages principaux du livre aient un roman qui leur soit consacré. J’ai commencé par Cécile avec ce livre, « Le Baptême des Ténèbres », qui sera célébré en la Sainte Eglise du Mal (et surtout dans toutes les librairies) le 2 Octobre.

Mais ce que je viens de dire implique un nouveau roman, celui dédié au personnage de l’Archange, Ange-Marie Barthélemy, entouré de ses hommes. Ce livre est bien entendu déjà écrit. J’entame ces temps-ci les corrections pour une sortie prévue début 2015. Le titre sera « Le Bal des Ardentes » et offrira encore un nouvel angle d’approche d’une enquête policière, avec dans les artères ce qu’il faut de Roman Noir. Un livre très dynamique là où le Baptême des Ténèbres est plutôt atmosphérique, avec une véritable famille liée autour d’une brigade d’élite qui travaille en meute au-devant de la scène. J’ai choisi cette sortie après le baptême, tout à la fin de cette « Trilogie en Blanc », parce que c’est pour moi le plus percutant des trois livres. J’espère ne pas me tromper sur ce coup, mais c’est en tout cas ma démarche.

En revanche – et je sais que j’insiste lourdement sur ce point qui il est capital – les trois livres sont détachés les uns des autres. On peut en lire un seul, ou deux. On peut commencer par le deuxième et lire les autres dans n’importe quel ordre ; je ne voulais pas imposer une lecture chronologique obligatoire à mes lecteurs. J’ai beaucoup travaillé dans ce sens.

Cette nouvelle intrigue est d’une profonde noirceur, à la fois d’une rare violence et d’une grande psychologie…

Je ne voulais tout simplement pas écrire un nouveau Festin qui, après celui du Serpent, aurait été quelque peu indigeste. Je me suis donc focalisé sur les ténèbres intérieures de l’âme humaine, la complexité qui y est liée et, surtout, sur son aspect dédaléen. Chacun d’entre nous possède sa part d’ombre, qu’elle soit dévoilée ou pas, consciente ou non. Ici, il s’agit bien de profondeur, dans tous les sens du terme. Un challenge que je me suis imposé pour que, même dans les passages au cours desquels l’action devient omniprésente, l’atmosphère sombre de l’ensemble demeure en place.

Dans cette remarque, quand tu dis « d’une rare violence et d’une grande psychologie », ça me touche beaucoup, ça valide le fait que ce que j’ai voulu faire passer l’a été. Mais je pourrais même dire d’une grande violence psychologique aussi, car j’embarque le lecteur dans un naufrage psychotique et cauchemardesque. Encore une fois, l’ambiance, l’atmosphère et la tension sont dans ce roman mes principaux outils de travail.

Le titre se pose là : c’est un véritable baptême que je dirige sur mon lectorat, mais un baptême de l’ombre, une plongée dans les abysses de la conscience et de l’inconscient, un saut dans l’abîme. J’espère que tous mes lecteurs le ressentiront autant que moi.

Ce n’est pas simplement la traque d’un psychopathe que tu nous proposes, c’est une véritable guerre qui est menée…

Oui, c’est vrai… Mais c’est seulement maintenant que tu le dis que j’en prends conscience.

Si le texte est, au premier plan, une chasse livrée contre un monstre, il souligne également le problème de la société de consommation dans laquelle nous vivons. Aujourd’hui, plus que jamais, il faut rester dans les clous pour ne pas être mis en marge avec violence. Si vous sortez des cases, le système vous rejette. Alors, quoi de plus normal que de constater une augmentation de la violence, du nombre de criminels en sommeil, réveillés par leur écartement. Pour certains, l’impact sur l’inconscient, c’est à dire la partie animale et instinctive de notre mental, est si fort que leurs dernières connexions au monde civilisé, à ses règles et à ses lois, explosent. Petit banditisme, terroristes, individus violents, tueurs de masse, sectes… Quand un homme n’a plus rien à quoi s’accrocher, il cherche des appuis psychologiques ailleurs, au sein même de la marge dans laquelle il a été repoussé.

Aujourd’hui, nous sommes en guerre contre le Mal. La masse est en souffrance, tiraillée par l’étalage de la consommation et un pouvoir d’achat qui réduit. « Regarde, mais ne touche pas ! Touche, mais ne mange pas ! Mange, mais n’avale pas ! » Tous les jours, des individus tombent dans la dépression, dans la misère, dans le burn-out. La marge est pleine d’individus désespérés, comme enduits de napalm. Et il ne faut qu’une étincelle pour qu’ils s’enflamment.

Plus que jamais, nous sommes plongés dans les ténèbres, lentement. Et bientôt, dans six mois, dans dix ans (qui sait ?), tout ça va finir par nous exploser à la gueule. Plus que jamais, les forces de l’ordre doivent faire face à des situations tragiques, dangereuses ou même sordides.

Cécile Sanchez, le personnage principal de ce deuxième roman, est un peu une sentinelle des ombres, prête à agir quand il le faut, à partir dans une croisade qui, c’est triste à dire, est perdue d’avance.

Alors oui, il s’agit bien d’une guerre, et le déroulement de l’histoire du Baptême des Ténèbres, comme pour Le Festin du Serpent, est trop tiré du monde réel pour que ce ne soit pas inquiétant.

Une fois de plus, ton thriller se caractérise par une précision de tous les instants dans les thèmes abordés. Comment as-tu fonctionné pour arriver à un tel degré de réalisme ?

De la documentation, déjà, énormément, comme pour le premier, et puis surtout par la plongée en eaux profondes, là où la lumière ne passe pas. Comme je l’ai expliqué dans la tribune que tu m’as accordée, je tire mes personnages, même les plus monstrueux, d’individus bien réels. Je n’ai pas le don de l’imagination de certains autres auteurs (ce que j’admire), alors je dois aller chercher tout ça au fond, dans mon passé, et parfois, avec des pincettes à présent, dans le présent.

Mais de la matière, il y en a. Pas la peine de se pencher beaucoup au-dessus de l’abîme pour entrevoir des ténèbres un peu trop mobiles, un peu trop vivaces et vorace, dont le but est de nous avaler tout à fait. Il suffit alors d’en extraire des images, des ambiances, et la machine est lancée.

Pour l’un des personnages, celui de Krimoh, ce dernier a accepté que je parle de lui (son surnom dévoilé mais son identité cachée) et de son gang que j’ai presque simplement décrit, sans emphase. Quand vous le découvrirez, sachez que j’ai eu à lui faire face et que son rapport avec Vauban (vous comprendrez bien assez tôt) est bien réel. Je l’ai simplement déplacé à Paris car les conditions de vie de leur meute pouvaient s’y coller à merveille. Sachez seulement qu’il est bien là, dans notre réalité, quelque part en province. Mais je ne peux pas en dire plus, pour ma sécurité et celle de ma famille.

L’aspect « psychiatrique » du méchant de l’histoire est particulièrement travaillé…

J’ai en effet beaucoup travaillé en ce sens, sans pour autant trop alourdir le texte. Déjà, j’ai reçu un appui technique solide de la part de mon épouse qui travaille comme infirmière dans une unité psychiatrique fermée de l’Est de la France, où sont rassemblé tous les hospitalisés dangereux, contre leur gré. Je profite de ces mots pour féliciter cette sentinelle qu’elle est, elle aussi, dans la vie de tous les jours, en vous isolant de la folie dangereuse et, de fait, protégeant nos vies des pulsions qui animent ces personnes malades, aussi diverses qu’elles sont sombres et profondes.

Mais pour le cas du principal antagoniste, je me suis inspiré de quelques jours passés chez un individu qui a été un ami et qui a développé une forme assez grave de schizophrénie paranoïaque. Il était relativement stable à l’époque et suivait à peu près son traitement. J’ai été logé chez lui par obligation il y a sept ans, à une période de transition de ma vie. Une nuit entière, alors qu’il commençait à lentement perdre les pédales à cause d’une rupture volontaire de son traitement, il m’a parlé de ses pulsions, de ses fantasmes concernant les femmes. Il comparait son pénis avec la lame d’un couteau, dissertait sur la proximité de la pénétration sexuelle et de la pénétration des chairs par un couteau. Il m’a parlé de certains supplices, m’a montré des photos où il les avait mis en scène avec des mannequins de boutiques de vêtements et de sous-vêtements, du sang animal et des ustensiles divers. Il avait tout un album ou les clichés étaient collés, entourés de notes manuscrites, de dessins, de pages de livres partiellement brûlées (il prétendait pouvoir lire l’avenir en enflammant une page de livre et en l’éteignant après un temps de consommation variable, les mots encore lisible contenant des prophéties). En bref, un vrai catalogue des horreurs. Je dois avouer avoir passé quelques nuits blanches entre ses murs.

Mais de manière plus générale, je crois que la tribune rédigée et publiée sur ce blog est très éloquente pour comprendre ma façon de saisir le réel et de le coucher sur papier.



Catégories :Interviews littéraires

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21 réponses

  1. Une fois de plus Ghislain Gilberti se met à nu devant son lecteur et ce grâce à toi, Yvan. Un jeune homme doté d’une sensibilité à fleur de peau et d’un vrai talent d’écrivain. Merci à tous les deux pour ce duo d’artiste en écriture. 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Merci à toi pour ton enthousiasme ! Des libraires comme toi il en faudrait plein 😉

  2. Et bien tu continues d’enfoncer le clou….A vous deux, on se demande comment on fait pour ne pas avoir ce livre entre nos mains….;)
    Dès que je passe en librairie c’est sur que je chercherais celui là….

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      j’ai fini d’enfoncer le clou ;-). un auteur comme ça mérite qu’on lui donne la parole
      Impatient de connaitre ton avis, sincèrement !

  3. Déjà, en lisant sa carte blanche , j’étais happée par son monde, son énergie….. J’ai déjà son livre à la maison et je n’ai plus qu’une envie après avoir lu cette chronique, c’est de me jeter dessus tout de suite…
    Un auteur qui se livre à ce point tout en profondeur et en nuance, c’est rare….
    j’avais adoré le festin du serpent, je crois que je vais me régalée avec celui-ci…
    C’est dit, je commence ce soir !!! 🙂
    Merci à toi Yvan et à Ghislain Gilberti pour ces beaux échanges..

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oui c’est rare, très rare !
      Tu verras qu’il est différent du Festin du serpent, je suis curieux de ton avis !

  4. Quel constat sombre de notre société. .. mais sans doute a t il raison malheureusement.
    Un auteur d’une profondeur hors du commun

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Oui il a malheureusement sans doute assez raison…

  5. Je ne le dirai jamais assez, quel personnage. J’adore.
    Et, on pourrait croire, que cet exercice que j’affectionne, « 1 livre en 5 questions », a été crée sur mesure pour monsieur Ghislain Gilberti, tellement c’est d’une profondeur et d’une humanité sincère.
    Encore merci pour tout cela à vous deux, Yvan 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      exactement ! Il a tout compris à exercice, sans doute celui qui l’a le mieux appréhendé

  6. Merci à toi Yvan de lui donner si bien la parole pour que nous le découvrions à notre tour. Il faut vraiment que je découvre l’univers de Ghislain, qui se met se met à nu devant nous, et me touche énormément. C’est prévu…bientôt…

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      alors on en reparle à ce moment là 😉

  7. Un personnage hors du commun, de cela, on est certain ! De plus épaulé d’une épouse qui semble de la même trempe, quel couple ! Que de lucidité dans cet échange ! Merci Yvan pour cet éclairage sincère apporté sur cet auteur !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Ghislain est un gars étonnant, complexe et qui a tant de choses à nous dire. Je suis super fier de lui en avoir apporté la place 😉

  8. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    Hé ben, lui, quand on lui pose une question, il répond par un roman (tiens, j’en connais une autre qui a cette particularité 🙄 bien qu’elle n’écrive pas aussi bien que Ghislain !).

    Waw, les trucs de fous que je viens de lire… « ceci n’est peut-être pas tout à fait une fiction » devrait être inclus en bandeau-titre sur le livre 😉

    Niveau part d’ombre, j’ai sombré du côté Obscur de la Force et je puis annoncer :
    « Yvan, je suis ton père ! ». 😆

    « Mange mais n’avale pas »… non, je ne ferais pas part de ce qui m’est venu à l’esprit. 😳

    Bon, il me faut ce livre !!! Merci à Yvan pour les questions et merci à Ghislain de s’être mis tout nu devant nous. Bon, qu’il se rhabille, il ne fait pas chaud 😀

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Je ne vois absolument pas de qui tu veux parler 😉
      Tu as raison, proposons ce bandeau à son éditeur !
      Je ne ferai aucun commentaire sur tes vannes beletiennes 😉

      • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

        Moi aussi j’ai oublié son nom… bah, c’est pas grave ! 😀

        Ok, j’envoie ma proposition à l’éditeur et en échange, il m’offre un livre toutes les semaines durant 10 ans ! 😆

        Non, vaut mieux pas commenter… de toute façon, je sors ! ——->> 😀

  9. Merci à tous de m’avoir lu dans cette collaboration avec Yvan… C’est pour ça que je voulais me donner au blog emOtions, car il est bien nommé. De l’émotion, il y en aura eu de ma part en lisant vos commentaires. Merci à toutes et à tous, j’espère vous rencontrer à l’occasion d’un salon ou d’une dédicace, tous autant que vous êtes à m’encourager sur une voie pas facile.

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