Interview littéraire 2013 – Zoran Drvenkar

Pour moi, Zoran Drvenkar n’est rien de moins qu’un génie (je pèse mes mots, je persiste et je signe !).

SORRY était déjà un roman surprenant et une formidable réussite. TOI (sorti en 2012) est pour moi ce qui se rapproche d’un chef d’oeuvre du genre.

Une plume et un ton uniques, une profonde noirceur qui laisse poindre des touches d’humanité et des histoires incroyables. Pour ceux qui arrivent à entrer dans son univers, l’expérience que procure ses romans est tout simplement inoubliable.

J’étais fort déçu de son absence au Quais du Polar 2013 à Lyon et je suis heureux de pouvoir lui donner l’occasion de s’exprimer à ce sujet.

Cette interview est d’une force rare, Drvenkar se livre totalement et je lui suis d’une infinie reconnaissance pour m’avoir accordé un si long et si profond entretien.

Une fois n’est pas coutume, je publie son petit mot d’accompagnement préalablement à l’entretien.

Cher Yvan,

Cela me rend très heureux de savoir que vous aimez mes livres et je suis encore désolé de ne pas avoir été là où j’aurais dû être. J’étais vraiment impatient de venir à Lyon, la vie est parfois cruelle (voir la question 9 et la réponse de l’auteur).

Après « SORRY je me devais de franchir une nouvelle étape, c’est alors que j’ai commencé à écrire TOI et ça me touche vraiment que vous classiez ce livre parmi vos préférés. Il est différent et fou et c’est ce que j’aime dans ce livre.

Voici vos réponses :

1. Pouvez-vous décrire votre personnalité en trois mots, seulement trois ?

Fidèle, affamé, maintenant.

2. Comment en êtes-vous venu à l’écriture ?

Tout a commencé avec par une sorte de désespoir. Quand j’étais enfant, les livres m’ont sauvé de mes parents et de la vie quotidienne. Ce n’était donc pas une surprise que je paye en retour mon tribut aux livres en commençant à raconter mes propres histoires. Au début, je copiais tous les styles que je lisais. Avec le temps, mon propre style a commencé à émerger. Je n’ai jamais rien appris d’autre.

J’ai été en échec à l’école, j’ai toujours vécu à travers les livres et en essayant d’y trouver mon chemin dans la vie. Sans la lecture, je n’existerais pas. C’est de cette façon que je suis devenu écrivain.

images3. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur TOI et les thèmes qui y sont évoqués ?

TOI a été un étrange voyage. Je tentais de sortir des ténèbres dans lesquels SORRY m’avait laissé. Mon objectif a toujours été d’écrire sur ces cinq filles, j’ai adoré leurs voix et leur puissance. Je savais que je voulais traverser tout le livre en écrivant à la deuxième personne – parler au lecteur, faire du lecteur partie intégrante du livre, le plongeant dans l’esprit des personnages. Je l’avais fait en partie avec SORRY et je l’avais fait dans deux romans précédents. C’est une autre façon d’écrire. Vous êtes plus proche du lecteur, c’est plus personnel.

D’autre part, j’étais fatigué de toujours entendre parler de tueurs en série et de fous s’attaquant aux gens ordinaires à coup de hache sur la tête. Je voulais sortir des clichés des thrillers et du crime. Le « Voyageur » fut ma réponse. C’est un homme qui suit son chemin, il est étrange, il est sans émotion et pourtant toujours humain. Vous ne pouvez comprendre ce qu’il fait et pourquoi. Il est sans peur, il est parfait mais d’une manière totalement destructrice.

Je voulais une histoire qui joue avec le temps, que se joue de vous en tant que lecteur dans le sens où elle se joue même des personnages du livre en leur mentant. C’était un concept un peu fou et je me suis laissé porté par mes ailes et un bon vent. Après en être arrivé à la moitié du livre, j’ai tout à coup vu mes cinq héroïnes prend leur essor et j’étais assis là à penser : « mais où diable allez-vous ? »

Je ne prévois rien, je me laisse porter par le flux de l’histoire et ce flux a fait ce qu’il voulait. D’une certaine manière, tous mes personnages sont libres de faire ce qu’ils veulent. Je peut freiner leur processus, mais j’aime les suivre et la plupart de leurs idées se transforment en mes idées. A la fin je suis le patron et je décide, même s’ils sont les maîtres de l’histoire.

4. Vos histoires sont particulièrement complexes et tortueuses, comment travaillez-vous pour obtenir un tel résultat ?

De l’instinct pur, de petites idées, des scènes que je peux imager dans ma tête, de beaux tours et détours qui me font sourire, et beaucoup de films, de musiques et de romans qui alimentent tout ce truc de fou. J’apprends dans les livres et j’essaie ensuite de faire prendre un tour nouveau à mon écriture en utilisant tout ce que j’ai appris pour la faire avancer d’un cran, la rendre meilleure. C’est comme un hommage à tous les écrivains. Comme si je disais : « regardez, j’ai appris et j’ai fait quelque chose de nouveau avec tout ce que j’ai appris de votre écriture ».

Et il y a une part d’obscurité en moi. Ne me demandez pas d’où elle vient. Je peux être drôle, j’ai écris beaucoup de livres drôles pour enfants. Mais j’aime encore plus cette part d’obscurité. Effrayer quelqu’un sans l’aide de monstres, extraire le mauvais coté d’un personnage, trouver les points faibles de notre humanité.

Il y a des moments où j’ai envie d’être moins complexe, je voudrais une histoire simple, une ligne et la fin, mais ça ne fonctionne pas ainsi. Je ne peux pas abandonner les rebondissements, je ne peux pas m’en tenir à une seule ligne, mais j’apprends.

5. Avez-vous la volonté de vous écarter des conventions du thriller pour toujours surprendre le lecteur ?

Oui, il n’y a rien de mieux. Il y a de trop nombreux thrillers qui ne sont pas surprenants, qui suivent la ligne classique du genre. Je déteste être conventionnel. Je cherche un nouveau chemin à parcourir à chaque fois que j’écris un livre.

6. Votre style d’écriture est immédiatement reconnaissable. Votre dernier roman est écrit à la deuxième personne du singulier. Cela doit rendre l’écriture plus complexe…

… et plus fou. De nombreux passages ont été écrits à la première et troisième personne. J’ai changé le style en cours d’écriture juste pour me rapprocher de mes personnages et du lecteur. Si le ton n’est pas bon, le roman ne fonctionne pas.

7. La psychologie de vos personnages, bons ou mauvais, est incroyablement travaillée. Cet aspect semble important de vous…

En fait, je ne travaille pas sur eux, ils se développent pendant que j’écris, développent leurs propres histoires, me disant qui ils sont et pourquoi ils sont. Ça sonne toujours un peu fou et psychopathe de dire ça, mais croyez-moi, c’est un plaisir, parfois effrayant, mais surtout c’est un pur plaisir. Comme si des milliers d’âmes vivaient dans votre poitrine.

8. La violence psychologique est parfois très dure dans vos livres. Vous fixez-vous des limites dans vos histoires ?

Il n’y a pas vraiment de limite. Ce serait injuste pour les personnages. Bien sûr, je pourrais modifier et supprimer un part de violence, mais elle fait partie de l’histoire et une partie essentielle des personnages. On devrait écrire sur ma tombe : ne plaisante pas avec les personnages.

9. Vous avez dû annuler à la dernière minute votre présence à Lyon, aux Quais du Polar 2013. Pouvez-vous nous en expliquer la raison ?

J’étais sur le chemin de l’aéroport pour y chercher ma muse. L’aéroport est à 60 km de chez moi. Il était cinq heures et l’avion atterrissait à neuf. Je suis tombé dans un très gros embouteillage sur l’autoroute. Au bout de quatre heures, je n’avais parcouru que 2 km. Je ne suis pas devenu « Le Voyageur » (voir le personnage de TOI et son chapitre d’introduction), mais ce n’était pas loin. Après deux heures supplémentaires, j’ai trouvé une sortie, je me suis cassé la figure en sortant dans la rue et j’ai décidé de rentrer chez moi et de prendre le prochain avion. Dans la nuit, il a commencé à neiger. Ma voiture était complètement enneigée, j’ai été bloqué par la neige et je l’ai pris comme un signe du destin et abandonné.

10. Ce blog est fait de mots et de sons. La musique est-elle importante dans votre processus créatif ?

Je place la musique au même niveau que les films et la littérature. C’est le rythme et la bande son de chaque histoire. Elle m’aide à façonner les personnages à un niveau secret, elle permet de donner de nombreux rebondissements à la narration, il est impossible d’écrire sans elle. Voici une partie de la musique que j’écoute :

herman düne – sea of is – ballboy – tunng – sigur ros – gus black – scott 4 – james grant – the diarys – soltero – alabama 3 – nire – lewis & clark – matt bauer – kingsbury manx – willy mason – low anthem – kris dane – vocal disorder – the whitest boy alive – bell x 1 – kasabian – hobotalk – boo hewerdine – travis reitman – danny michel – neil halstead – mojave 3 – vetiver – jean parlette – strand of oaks – pascal finkenauer – woodpigeon – mount errie – piers faccini – kid loco – deyarmond edison – bon iver – the coral sea – fionn regan – scott matthew – william fitzsimmons – james yorkston – michael sheehy – talls firs – midlake – summer at shatter creek – the dirty pictures – boduf songs – tom hanson – matt harding – the acorn – michael andrews – fuck the writer – joe purdy – breathe owl breathe – fjord zarminski – bonnie billy prince – okkervil river – matt ward – damien jurado – califone – edison woods – damien rice – adem – experimental pop band – thomas dybdahl – gravenhurst – devendra banhart – micah – norfolk & western – slowblow – teitur – tiger saw – archive – bellwether – minor majority – autumn picture – nom – joseph arthur – smog – stephen fretwell – pajo – an angle – 13 & god – pellumair – elbow – kashmir – calla – boedekka – j w hindle – merz – rogue wave – sparklehorse – analog set – polar – two times the trauma – flowers from the man who shot your cousin – national – corinna repp – fink – beck – club 8 – stereofan – kid dakota – uphill racer – low – airliner – brichtblack morning light – acid house kings – josh ritter – sodastream – loch lomond – jim bryson

11. Le mot de la fin?

J’espère voir bientôt la France.



Catégories :Interviews littéraires, Littérature

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24 réponses

  1. Waouhhh!!! J’adore…je suis épatée par ses réponses!!!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Moi aussi, sacrément épaté et impressionné du temps qu’il y a consacré !

  2. Bravo superbe interview 😉 continue!! mais pas trop quand même 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Je vais tenter de suivre ton conseil, vais-je y arriver ? ;-). Merci pour ton passage par ici !

  3. Une belle personnalité. On sent le poids de l’enfance et et de l’adolescence qui permettent de devenir ce que nous sommes ensuite avec nos déchirures. Ombre et lumière dans ces propos.
    On n’écrit jamais par hasard !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Tu as raison, c’est tout à fait ça ! C’est touchant, sa façon d’en parler

  4. je ne sais pas comment tu as fait mais c’est le meilleur de tes interviews.
    Il s’est vraiment livré à toi comme s’il te connaissait. Comment tu as eu son mail bon sang ?! lol

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Son mail ? C’est une très belle histoire, je te raconterai ça en message privé 🙂

  5. Waw, waw, waw ! Et bien, mon vieux, tu te paies les grands auteurs, dans ton blog !

    Intéressant au plus haut point parce que j’ai « Sorry » dans ma PAL. Par contre, je vais hurler sur WordPress parce que malgré mon abonnement à ton blog, les mails n’arrivent pas ! Godferdom, le service laisse à désirer !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Ah le service postal, ce n’est plus comme avant ma ptite dame :-).
      Bah, ça t’oblige à venir par ici régulièrement !
      Et j’espère que tu as encore plus envie de lire Sorry maintenant.
      On a un petit mot en alsacien qui ressemble beaucoup à ton mot belge 😉

  6. Des réponses assez riches ! très intéressant et tout ça me donne très envie de découvrir l’écriture de Zoran Drvenkar 🙂 je suis impatiente de m’y mettre !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Indispensable, l’ami Zoran 🙂

  7. Hey! Dites moi comment vous avez fait pour avoir son contact, car je le cherche désespérement, je me suis mis à l’adapation de Sorry en scénario et je n’ai aucune nouvelle des éditions Sonatine qui m’ont promis de faire passer le message… Snif

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Le Monsieur a un site internet 😉
      Bonne chance pour la suite !

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  1. Zoran Drvenkar, Toi | Sous les pavés….la page
  2. Zoran Drvenkar, Sorry | Sous les pavés….la page
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